ZEROSECONDE.COM: novembre 2011 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

Knol plie bagage

Google fait le ménage. Quelques canards boiteux devront rentrer chez eux. Knol en fait partie.



Knol se voulait une plate-forme encyclopédique ouverte au public. Comme Wikipédia. Une encyclopédie ouverte au "contenu généré par les utilisateurs". Mais contrairement à Wikipédia , les auteurs signaient leurs articles et pouvaient se voir payer par la publicité gérée par Google.

Camille Gévaudan sur Écran résume bien la situation
Le fait que les auteurs ne soient pas tenus à la neutralité de point de vue, comme sur Wikipédia, a contribué à tirer vers le bas la qualité de l’ensemble.
Contre toute attente, la collaboration quasi anonyme dans Wikipédia a généré plus de qualité que dans Knol.
Les Knols ne sont pas des articles encyclopédiques ; ce sont des opinions, des billets de blog. Les critiques de films et de jeux vidéo, les recettes de cuisine et les tutoriaux ont pullulé, mais pas de la main de critiques professionnels ou de chefs reconnus. 
Lors de son lancement en 2008 je me demandais si Knol n'était pas une tentative de Google d'entrer sur le terrain de la diffusion de contenu en devant d'une certaine manière éditeur et non plus simple agrégateur.

Visiblement Google est plus à l'aise de travailler avec des robots et des algorithmes qu'avec des gens et du contenu...

Knol fermera ses portes définitivement en 2012.

Du journalisme sans journaliste


Je suis du coin de l'oeil le développement du journalisme à l'ère de réseau. Je m'intéresse plus particulièrement à l'arrimage entre les médias et le réseau en traquant la façon dont l'écosystème se modifie.

Pour l'instant, comme chroniqué, ici, sur mon blogue sous la catégorie Journalisme, on a pu voir comment lentement les deux sphères se sont rapprochées, et de quelle façon la greffe a pris.

Je crois qu'un «nouveau journalisme» émergera de cette rencontre. Ce terme est celui utilisé pour nommer les nouvelles pratiques journalistiques, pas nécessairement pour annoncer la mort ou le replacement du journalisme actuel en tant que tel. Le journalisme traverse une crise qui a débuté bien avant le Web mais qui s'est accélérée avec celui-ci.

Nul n'est journaliste en son pays

Les journalistes membres de la Fédération des journalistes du Québec (FPJQ) iront à leur congrès annuel la fin de semaine prochaine. Gageons avec eux qu'ils n'avaient pas en tête cette image du «nouveau journalisme» tel que décrit par Stéphane Baillargeon dans son article de ce matin intitulé Les Kleenex de Québecor:

«Un journal sans journalistes, sans pupitreurs et sans photographes se prépare. À partir de maintenant, le contenu rédactionnel de 24 Heures - Montréal sera en bonne partie fournie par l'agence QMI, dont le JdeM, puisque les deux médias couvrent le même territoire. Le tout nouveau patron du journal gratuit vient aussi du journal payant. »

Mais peut-on être surpris? Les journaux comme le Journal de Montréal (JdM) sont complètement court-circuités par les médias sociaux. Vous voulez voir du gore ou du trash en première page? Pas besoin d'attendre le lendemain matin. Vous avez déjà tout reçu sur Tweeter ou Facebook. Et sous plusieurs angles. Merci au «journalisme citoyens». Quel intérêt d'avoir une photo de Kaddafi mort, si on a pu le voir se faire massacrer en direct sous des caméras cellulaires la veille (voir mon billet : Le retour de la brutalité en temps réel).

Ce type de «journalisme» a complètement été submergé par les réseaux sociaux.

Follow, baby, follow

Mais ce journalisme n'est pas mort pour autant. Il se transforme. Il fait maintenant des "reportages" ou des "sondages" pour surfer sur «l'indignation rampante». Ça existait avant, ça va simplement s'accélérer. Le "data-journalisme" sous forme d'épluchage de compte de dépense ou en fouillant les poubelles, ça c'est quelque chose que le «journalisme citoyen» ne fera pas facilement. Ça, c'est une opportunité. Et vous en verrez de plus en plus.

Qu'un lectorat s'y abreuve est un tout autre débat.

Qu'ensuite on automatise le tout, en employant le moins possible de personnel, n'est qu'une conséquence d'une vision industrielle de l'information comme commodité. La «nouvelle jetable» est rentable... si on contrôle toute la queue de la longue traîne. Ce que Québécor tente probablement de faire.

Je n'avais pas nécessairement ça en tête quand je me réjouissais de la greffe entre les grands médias (terme que je préfère à média traditionnel) et les médias sociaux (terme pour signifier toute plateforme permettant une autoproduction et une autodiffusion d'information).

À ce niveau, il n'est plus question de savoir si les médias sociaux sont des parasites ou non des grands médias. Avec ce «nouveau journalisme» qui s'installe dans cette partie de la sphère journalistique, on est passé à une fusion symbiotique. On ne sait plus qui se nourrit de qui.

Compte rendu (partiel) du Web-in 2011


Petit retour (partiel) sur le Web-in de lundi dernier dont je vous avais parlé. Je reprends un partie de ce que j'ai écrit sur Triplex pour le bénéfice des lecteurs de Zéro Seconde!
Jean-François Poulin met la table dès le début : sur l’échelle de Kardashev, méthode de classement des civilisations basée sur la quantité d’énergie qu’elles sont capables de capter, nous ne serions qu’une civilisation inférieure au type I (civilisation capable de bien gérer toute l’énergie de sa planète mère).
Notre civilisation est loin d’avoir atteint son plein potentiel (après le type I, une civilisation de type II parvient à capter toute l’énergie de l’étoile centrale : vous voyez le chemin à parcourir!  – et je vous laisse deviner ce qu’il faut pour appartenir au type III!). Elle n’en est même qu’à ses tous premiers balbutiements.
Dans ce contexte, Internet s’avère probablement le meilleur moyen pour conserver l’expérience et la retransmettre afin de s’améliorer collectivement. Pour ce qui est de rassembler cette masse d’information, Luc Gauvreau se propose de commencer par colliger tout ce qui concerne Montréal dans son Montréalscope, une énorme base de données (images et textes) concernant exclusivement Montréal. En rêvant de capturer aussi tous les gazouillis et les géopositionnements librement consignés par ses habitants, il veut laisser au futur des traces du présent.
Il soulève en passant que si la problématique de la géolocalisation est désormais bien réglée, grâce à une multitude d’outils disponibles aujourd’hui, la « chronolocalisation » reste un enjeu (et on voit, avec Facebook Timeline, les premières tentatives pour situer des événements dans le temps). Représenter les mouvements géographiques sur une ligne chronologique n’est pas quelque chose de très développé encore (plus de détails ici).
Vous voyez un peu le niveau. On était seulement à la mi-matinée! Le reste de la journée s’est écoulé sur le même ton, en s'accélérant!
Véronique Marino propose de faire le parallèle entre deux désarrois : celui que nous ressentons face à la surabondance d’information et celui que peuvent ressentir des personnes autistes. Parce qu’ils éprouvent de la difficulté à concevoir des notions abstraites, ils ont du mal à donner du sens à ce qui les entoure – probablement un sentiment partagé par plusieurs d’entre nous lorsque nous sommes confrontés au tsunami de l’information et à l’accélération de l’innovation.
Il y aurait beaucoup à apprendre des techniques que les autistes ont appris à utiliser pour survivre au bombardement d’information (voir le programme TEACCH). Alvin Toffler annonçait déjà dans les années 70 que la brièveté, la nouveauté et la diversité (exactement ce qui effraie les autistes) étaient d’importantes sources d’angoisse et que les illettrés au 21e siècle se trouveront parmi ceux qui ne sauront pas « apprendre, désapprendre et réapprendre ».
Une des manières d’apprendre, justement, serait de le faire par l’intermédiaire de ces communautés en ligne, ces forums ou réseaux sociaux. Bruno Boutot, lui, considère ces médias sociaux comme complémentaires aux médias traditionnels. En créant un lieu virtuel d’échange en ligne (de commentaires, de photos, etc.) en périphérie des médias traditionnels, on ne les remplace pas (car ils sont et doivent fondamentalement rester unidirectionnels), mais on leur donne la possibilité de connaître l’identité de leur auditoire, qui cesse donc d’être une simple statistique.
Il signale alors l’erreur d’appréciation qui a généré tant de tension au moment de l’arrivée du web dans la sphère des médias : il ne faut pas voir ces communautés virtuelles comme une extension des médias, mais comme un espace voisin, les deux vivant en symbiose. Il est même souhaitable que ce ne soit pas nécessairement les mêmes qui gèrent les deux extrémités de cette chaîne médiatique.
Ce n'est qu'une vue partielle de qui s'est dit au Web-in! Vous pouvez voir l'entièreté de l'événement ici.
Vivement Web-In 2012!

Quand le message est rabaissé au rôle de moyen

Ce que j'aime de la blogosphère, ce sont les conversations.



Elles ont migré pour la plupart sur les plates-formes de réseautage social. En partie, tant mieux. Les conversations futiles (ou personnelles) sont maintenant sur Facebook (et j'y vais pour cette raison), les conversations courtes ou relais (passer un lien) sont sur Twitter (et je l'utilise pour ça). Les questions-réponses sont sur Quora et les appels pour sortir sont sur Foursquare. Quant à Linkedin, c'est le CV constamment à jour. Google Plus est un mélange de tout ça, mais la communauté n'est pas stabilisée encore.

Mais des conversations dans Slideshare?

En général je n'y vois que des commentaires sans vraiment de lien. Mais quand ça arrive, comme dans mon cas quand j'ai déposé ma présentation Le Contenu n'a plus de valeur, ça vaut la peine de la recopier et de la remettre dans la blogosphère.
Conversation originale sur Slideshare

Michel Roland-Guill: Belle présentation, efficace et qui me pose une question, essentielle amha: le lien est-il le moyen du contenu (influenceurs, médiateurs) ou le contenu le moyen et le lien la fin? Ce qui signifierait une mutation fondamentale, et en apparence régressive: la prééminence du lien n’est-elle pas la caractéristique pré-littératique, féodale par exemple?

Martin Lessard: Je ne serais peut-être pas prêt à dire que c’est une ‘mutation fondamentale’ dans le sens que ce phénomène pré-existe au web (voir les études de Lazarfeld et son Two-Step flow), même si ce n’est peut-être pas dans le même contexte, ni à une telle échelle.

Je dirais que je tente de remettre en relief le fait que les échanges communicationnels ont une composante sociale qu’on a tendance à sous-estimer.

En titrant que le Contenu n’a plus de valeur, je pose en creux cet état de fait.

Je laisserai un anthropologue répondre à votre dernière question 

MRG: Je ne suis pas sûr qu’on ait tendance à sous-estimer la composante sociale, tout dépend du ’on’ que l’on (!) suppose.

Par exemple les outils de gestion des signets en ligne se sont appelés, au début du web 2.0, ’social bookmarking’ alors même que leur utilité la plus évidente et immédiate était dans la gestion personnelle de ses signets, ie dans leur orientation «contenu». Voir aussi aujourd’hui les réflexions d’Hubert Guillaud sur la lecture sociale, celles de Marc Jahjah sur le partage des annotations, ou celles de mon ami Christian Jacomino sur le partage de la lecture à voix haute.

Et en amont encore, il y a le travail des théoriciens du texte qui ont déconstruit la notion d’oeuvre. Il me semble qu’aujourd’hui au contraire la tendance massive est à la revalorisation de la composante sociale, votre présentation l’illustre et ce qu’elle montre, et qui me pose question, c’est que cette promotion de la composante sociale ne se limite pas à l’estimation, à l’idée que l’on se fait des échanges communicationnels, mais qu’elle concerne l’évolution même des pratiques.

’Mutation fondamentale’ est peut-être une facilité de langage, mais n’a de sens que dans le contexte particulier des échanges en ligne. D’ailleurs, s’agissant de Lazarfeld, je remarque que sa théorie vise à décrire le mode de percolation des idées, où les leaders d’opinion sont des vecteurs, c’est-à-dire que le sujet reste en fin de compte le contenu.

Votre présentation pose bien la question anthropologique (justement) amenée par l’évolution des pratiques: lorsqu’on envisage le rôle des ’influenceurs’ on reste dans le cadre de la problématique de Lazarfeld, de la diffusion des idées/contenus, mais lorsqu’on pose que le partage devient la valeur, c’est bien d’une mutation qu’il s’agit, où le ’massage’ social devient la fin et le message est rabaissé au rôle de moyen (on pourrait soutenir qu’il en a toujours été ainsi, mais il faudrait alors parler d’une ruse de la raison qui fait consonner deux logiques différentes selon un équilibre éventuellement mis en péril – mais ce serait dépasser les limites d’un commentaire déjà beaucoup trop long  ).

ML: Je dois dire que le YulContenu était une rencontre de jeunes ‘gestionnaires de communauté’ de 20 à 30 ans, pas particulièrement familier avec la théorie (je n’ai d’ailleurs pas cité Lazarfeld). C’est le ‘on’ de mon précédent commentaire.

Votre précision me fait penser que finalement je touche un sujet plus près de McLuhan que de Lazarfeld peut-être. Mais il est vrai qu’une grande partie du contenu social échangée actuellement concerne une forme de communication phatique. Mais j’imagine qu’il faudrait alors commencer à bien délimiter les termes de nos objets avant de poursuivre notre conversation.

Mais poursuivons quand même. Je vais prendre un exemple.

Je suis bien l’évolution de l’écrit et de la lecture à l’ère des réseaux (sans en être un expert comme Hubert). Je sais que si le contenu a une valeur, tout de même, elle est pourtant maintenant effectivement éclipsée dans un monde de surabondance d’information par la relation (je vais lire Hubert avant de lire Marc, parce que je le connais personnellement). La relation ne se limite pas à des rencontres physiques non plus et Marc entrera éventuellement dans ‘ma sphère d’experts’.

Par contre, n’étant plus dans un monde de rareté (relative) d’information, Marc aura grand peine à y entrer tant qu’Hubert réussit à satisfaire (saturer) ma curiosité à ce niveau. La valeur du contenu de Marc n’a donc ‘pas de valeur’ à mes yeux. Il pourra être revalorisé quand mon réseau (ma ‘sphère d’experts’) l’inclura davantage comme un incontournable (ou suite à des rencontres personnelles).

C’est effectivement le sens de ma présentation que vous résumez de si bonne manière: le message est rabaissé au rôle de moyen. La sélection des contenus (à contenu égal) se fait pour des raisons d’appartenance à une communauté (à la construction de celle-ci).

J’ai tout de même l’impression que c’était quelque chose de déjà présent dans la culture et que seul le partage à très grande échelle, comme on le voit sur Internet, le rend plus visible (d’où mon appel à un anthropologue qui connaîtrait la situation — tiens j’en connais un, je vais lui demander…)

Enkerli: (Content de voir des mentions de l’anthropologie, surtout qu’elles semblent pertinentes…) Pas facile d’embarquer en cours de route et j’ai pas tellement la possibilité de me concentrer là-dessus, en ce moment. Mais je vais essayer de contribuer à vif, après une lecture par trop fragmentaire. Un peu comme si j’arrivais dans une salle de conférence à la fin d’une période de questions. On peut dire que c’est la partie «regard éloigné» du travail anthropologique.

Donc, si je comprend bien, on parle du passage du «contenu en soi» à la «lecture sociale». Une grande question sous-jacente, c’est de situer ce changement dans un contexte plus large. Un truc qui se discute souvent, dans le contexte de l’émergence de nouvelles pratiques, c’est le degré de discontinuité entre ces nouvelles pratiques et ce qui les a précédées. Le discours sur l’innovation fait souvent appel à des concepts de «révolution», de «disruption» et de «changement fondamental». Selon ce discours, la lecture sociale est un phénomène fondamentalement nouveau, qui nécessite une description d’un ordre nouveau.

Le contrepoint de ce discours ajoute, bien sûr, une notion de «continuité», d’«évolution», voire d’«émergence». C’est le fameux «rien de nouveau sous le soleil». Dans cette optique, la lecture a toujours été sociale. (J’ai tendance à associer ma voix à ce contrechant.) Mais le discours sur la discontinuité est lui-même diversifié. On peut y entendre le «paradigme» de Kuhn autant que l’«épistémè» de Foucault (j’aime bien les rapprocher, ces deux-là). En ce sens, la lecture sociale est-elle un «changement de paradigme» (au sens strict) ou un «décalage infime, mais essentiel»? Vais répondre sur Lettrures…"

Note: La mise en page a été modifiée par rapport à l’original (retours à la ligne, hyperliens, guillemets) et j'ai fait quelques corrections orthographiques ou stylistiques mineures

Mise à jour: J,ai rajouté le commentaire de Enkerli à 12h30
Autres textes relatifs au «contenu n'a plus de valeur» sur Zéro Seconde:

Billet de départ: Le contenu n'a plus de valeur
Commentaires autour de ce billet de départ
Présentation autour de ce sujet au ContenuCamp Montréal
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