ZEROSECONDE.COM: novembre 2010 (par Martin Lessard)

ZEROSECONDE.COM

Impacts du numérique sur la communication, notre société, nos vies.

5 liens à la une

Je ne vois vraiment pas pourquoi je me tue à filtrer mes fils RSS, lire mon flux Twitter, m'abonner à des forums, écumer les librairies quand j'ai tout ce qu'un cerveau a besoin à une seule adresse.


Juste sur l'accueil de http://internetactu.net on trouve:


La technologie peut-elle éliminer la pauvreté ? (2/2) : Distinguer le potentiel des machines de celui des hommes (Par H. Guillaud)

La réponse est simple : l’éducation élimine la pauvreté ! Et la technologie magnifie les intentions et les capacités de l’homme. Mais elle n’est pas un substitut, elle crée une opportunité (non pas une garantie) et dépend des contextes. C'est en l'homme et non les outils qu'il faut investir.


Quelle philosophie est inscrite dans Facebook ? (X. de la Porte)

Dans Facebook, comme dans tous les autres réseaux sociaux, la vie devient une base de données. C’est une dégradation, qui, selon Lanier est “fondée sur une erreur philosophique la croyance que les ordinateurs d’aujourd’hui puissent représenter la pensée humaine ou les relations humaines”.


La capacité prédictive de nos systèmes socio-techniques va-t-elle tuer notre libre arbitre ? (H. Guillaud)

Nous connaissons une crise de tous les systèmes qui sont liés soit à la pensée soit à la connaissance: édition, journaux, médias, télévision, mais également université comme tout le système scolaire. Le libre arbitre aussi. En enregistrant toujours plus nos données dans les système web, Google et Amazon nous rendent plus transparents aux autres, et à nous même.


Little Brothers contre Big Brother (X. de la Porte)

Dans le 1984 de George Orwell les TIC assureraient la domination de l’Etat. Mais c'est le plutôt la surveillance de tous par tous qui est survenu aujourd'hui.


Quand nos gadgets connaîtront nos émotions (X. de la Porte)

«Qu’un tuteur automatique sache s’adapter à la capacité de l’attention de l’élève pourquoi pas, mais que mon lecteur MP3 établisse une playlist en fonction de ce qu’il interprète de mon état émotionnel, ou que mon téléphone croie savoir quand il peut me signaler les textos arrivant, je ne suis pas sûr que ce soit souhaitable.»


Merci la FING!



Ceci est votre vie privée donnée pour vous

On peut demander la sauvegarde de son historique Facebook depuis quelque temps, c'est-à-dire télécharger toutes les informations que vous avez entrées dans la plateforme depuis votre inscription. Tenir dans ses mains un concentré de vie privée est une expérience nouvelle.

Jesus is Lord Parking - photo by: Pete Jelliffe, Source: Flickr, found with Wylio.comVous recevrez par courriel un énorme fichier de votre prose sociale (allez voir dans les paramètres de votre compte, détails ici)

Ce qui est le plus marrant, dans cette histoire, comme Matthieu Strélisky m'avait fait remarquer, c'est que Facebook nous met en garde:

«Because this download contains your profile information, you should keep it secure and take precautions»
[étant donné que le fichier contient des informations personnelles, vous devriez prendre des précautions et le mettre à un endroit sécuritaire.]

D'une certaine manière, Facebook nous dit que notre vie privée est une chose trop sérieuse pour la laisser entre nos mains...

Pour une compagnie qui n'a pas montré trop de soucis à ouvrir le coffre-fort à toutes les applications que des programmeurs externes proposaient en 2007 (rappelez-vous que les premières appli avait tous accès à nos datas et même ceux de nos "amis") ni à nous protéger des regards indiscrets (l'an passé, sans trop avertir, nos données se sont retrouvées ouvertes "par défaut").

La non-confidentialité n'est plus à démontrer. Christian Bensi nous le rappelle encore avec cette très récente histoire du tribunal des Prud'hommes de Boulogne-Billancourt qui «venait de donner raison à une entreprise pour le licenciement de trois de ses salariés. Ces salariés dénigraient la hiérarchie de l’entreprise sur leur profil Facebook.»(Source)

Mais savons-nous, sommes-nous prévenus, de ce que Facebook fait de ces données? Xavier de la Porte nous résume l'excellent compte-rendu de Zadie Smith du film The Social Network sur InternetActu. «Quelle philosophie est inscrite dans Facebook ? Et Zadie Smith s’inquiète par exemple de l’Open Graph de Facebook, une application qui permet de voir en un instant tout ce que nos “amis” sont en train de lire, de regarder ou de manger, dans le but de pouvoir faire comme eux. Elle s’inquiète du fait qu’il y a dans la philosophie de Facebook une crainte générationnelle : celle de ne pas être comme les autres, une crainte de ne pas être aimé»

Tout ce que vous écrirez pourra être retenu contre vous

La semaine dernière, «Ecrans.fr le podcast », l’émission hebdomadaire de LibéLabo avec l’équipe d’Ecrans.fr, Erwan Cario, Alexandre Hervaud, et Camille Gévaudan, recevait le journaliste Jean-Marc Manach, auteur du livre La vie privée, un problème de vieux cons? Confrontée à un regard externe, étranger, on peut toujours détourner de son objet initial le contenu d'un fil Facebook. Ce n'est pas ce que vous dites qui est un problème, c'est comment l'autre (le patron, le douanier, l'assureur) qui s'arroge le pouvoir d'interpréter en sa faveur le crime dont vous êtes innocent.

Jean-Marc Manach écrivait cette fin de semaine que le web donne à tous la liberté d’expression (autrefois réservé aux «personnalités politiques, culturelles, intellectuelles, journalistes, “people“») afin de non seulement s’exprimer, «mais aussi et surtout être entendu». Mais voilà, «[l]e problème, c’est que le statut de “personnalité publique“, autrefois réservé à un nombre restreint de privilégiés, est donc aujourd’hui accessible à tout un chacun, en quelques clics.» (source) Et peu savent comment gérer ce nouveau fait.

Un monde sans revers

Ce que j'écrivais il y a 5 ans à propos des blogues (La Blogosphère sans revers) tiens toujours: Il n'y a pas de revers sur Internet, pas de coin pour parler dans le dos de qui que ce soit (du moins pas sur une longue période). Tout finit par se savoir. L'espace privé, finalement, se réduira à terme à tout ce qui n'est pas capté par un appareil de reproduction, volontaire ou non. L'espace pour l'hypocrisie n'existera plus: ce qui émergera éventuellement dans la société en réseau sera soit un obligation de confronter les autres avec nos idées ou de se taire. La confrontation entraînera soit une stratégie de respect mutuel et de conciliation à long terme, soit à une manipulation par pression sociale des pensées à une échelle encore jamais vue (sauf dans les dictatures).

Photo © 2006 Pete Jelliffe (via: Wylio)

Faut-il être un peu aristocrate?

Eric Fottorino, pour Le Monde, et republié dans le Devoir, a posé quelques questions à Umberto Eco à l'occasion du lancement en français de son dernier livre (De l'arbre au labyrinthe. Études historiques sur le signe et l'interprétation, Grasset). Une question a attiré mon attention.

Q: Pensez-vous que le savoir et la connaissance seront toujours diffusés par de l'écrit sur lequel on s'appesantit, ou au contraire que la culture de la vitesse, celle d'Internet, va finir par affecter notre capacité de jugement?

Umberto Eco: Je crois qu'il faut rétablir une culture des monastères, qu'un jour ou l'autre -- peut-être serais-je mort avant -- il faudra que ceux qui lisent encore se retirent dans de grands phalanstères, peut-être à la campagne, comme les amish de Pennsylvanie. Là, on garde la culture, et le reste, on le laisse flotter comme il flotte. Avec six milliards d'habitants sur la planète, on ne peut prétendre qu'il y a six milliards d'intellectuels. Il faut être un peu aristocrates de ce point de vue là.

(source)
D'emblée, on est frappé par cette question qui sépare en deux la culture. D'un côté, la "culture du savoir et de la connaissance" qui se transmettrait (et se définirait) par son véhicule privilégié (l'écrit) et de l'autre une "culture de la vitesse" qui affecte l'organe même de la rationalité ("capacité de jugement") au point de ne plus représenter le savoir même, ni la connaissance (sinon, on ne les aurait pas mis en opposition) et qui ne se définirait que par sa modalité (la vitesse de transmission).

Je ne sais pas s'il sous-entendait Wikipédia, Twitter et les forums dans la culture de la vitesse, mais quant au véhicule, il n'y a pas plus "écrit" que ceux-là. Alors d'où vient l'opposition?

Le danger de "l'immédiat", concept porté à son paroxysme, et à bout de bras, par Paul Virilio (hanté par "l'accident intégral" de la société de l'information --et dont je ne partage pas les conclusions comme exprimé dans mon billet en 2009, Virilio et la peur de l'immédiat) est probablement surévalué, mais suffisamment pertinent pour poser la question à Eco.

À quel point faut-il se formaliser que, non seulement Eco ne relève pas la rhétorique de la question, mais qu'il la défend presque ("Il faut être un peu aristocrates de ce point de vue là")

L'aristocratie, à mon avis, refuse aux autres un statut et les outils pour s'émanciper. Le web 2.0 a démocratisé l'accès aux outils, pour les pros comme pour les amateurs. L'élite refuse de voir les avancées parce qu'elle considère que la plèbe ne saurait ni bien l'utiliser, ni en faire quelque chose de noble -- en général sur la base de critères que seule l'aristocratie "maîtrise" (définition tautologique): la culture est ce qu'elle déclare culture.

Et la "culture", c'est le "livre". Ce qui donne des déclarations comme «Pour permettre aux gens dont c'est le métier de réfléchir [pour fournir une analyse en profondeur, un espace de réflexion] sur ce qui se passe sur notre planète. En 140 caractères, on n'a pas beaucoup le temps de faire ça.» (dixit la présidente d'honneur du Salon du livre 2010 de Montréal). Un peu comme si on réduisait la littérature au Harlequin. Ou la télé aux télés-vérité.

Et pourtant, Twitter, pour qui se concentre bien (tiens donc! un verbe d'action qui n'est pas réservé au livre!) sur les bonnes sources, «permet aux gens dont c'est le métier de réfléchir [pour fournir une analyse en profondeur, un espace de réflexion] sur ce qui se passe sur notre planète».

La preuve: cet excellent article Christian Liboiron sur l'ouverture (ambivalent) du Salon du livre de Montrtéal sur le XXIe siècle.

Le mur payant du Times confirme la "commodité" de l'information

The Times avait annoncé vouloir mettre son contenu derrière un "mur payant". Voilà les premiers résultats.

iPadSur le site de Benoît Raphaël, qui a fait une bonne recension la semaine dernière, on y apprend qu'il y a eu 105.000 ventes (à ne pas confondre avec lecteurs), dont la moitié correspond à des abonnements mensuels, et l'autre moitié correspond à des transactions à l’unité (1£ pour un jour). «The Times a réussi à transformer seulement 0,5% de ses 20 millions de ses lecteurs en ligne». (voir aussi sur PaidContent)

Un "mur payant" signifie donc baisse drastique de la fréquentation (mais une « communauté de grande qualité, qui participe beaucoup.»). Ce qui fait dire au The Gaurdian que ce n'est pas un bon modèle d'affaires. (via Benoît Raphaël). « La rentabilité de l'initiative semble douteuse pour l'instant.» publie le FPJQ.

Clay Shirky, ce matin, écrit qu'il n'y croit pas: avec la «commodisation» de l'information ["commodité" est un emprunt à l'anglais et signifie «rendre banal» avec peu d'attrait commercial, comme les «produits de base»] , il n'y a pas moyen de contourner le fait inquiétant que la masse ne veut plus payer pour du contenu. Le mur payant ne fait que retirer ceux qui ne veulent pas payer et ne conserve que ceux pour qui l'information, cette information, n'est pas une commodité. Il perpétue l'idée que les journaux peuvent peut-être s'en tirer sans changement majeur.

Il est effectivement curieux de penser que, selon les chiffres montrés, que le mur payant total puisse faire vivre une rédaction telle que le Times. Si le Devoir peut réussir à y voir une avenue rentable, avec un mur partiel, c'est que leur structure éditoriale était déjà assujettie au budget minceur. Le Times changerait tellement de visage qu'il ne serait plus le même.

Il est clair que le modèle d'affaires basé sur la "moyenne" ne tient plus dans un monde de la longue traîne. Et l'entraînement risque de ne pas se faire attendre: puisque faire suivre l'article ne sert à rien (il faut être abonné pour lire l'article), moins de gens citeront le journal, conduisant à une spirale descendante dans la perte de notoriété.

Mais le problème semble maintenant atteindre même les sites de journaux ouverts: les visiteurs uniques diminuent à travers le monde (selon les chiffres de Nielsen, comparé à Google trends, telles que compilées par Jeff Mignon le mois dernier). L'information est une "commodité" [un produit avec peu de différenciation]. Oui, mais on fait quoi maintenant? On se repose sur la tablette.

(source image)

Êtes-vous prêt pour le 21e siècle ?

Quel bonheur, ce matin je reçois un courriel: «Pensez vous que la crise actuelle est plus profonde qu’une simple crise économique … et qu’elle durera plus longtemps qu’on le prétend ?». «Notre passage vers l’ère postindustrielle sera de plus en plus douloureux. Mais, cette rupture nous offre aussi une chance unique de changer notre mode de vie si nous sommes capables d’apprivoiser les mutations qui se développent. » C'est le retour de Constellation W!

Tel le phénix qui renaît de ses cendres, Constellation W, dont j'avais annoncé sa renaissance en mars 2006, puis sa mort en mai 2007, sous prétexte d'un «insuccès» selon son auteur, mais dont j'ai été prompt à refuser ce diagnostic, trouvant trop facile de quitter «à la Zidane» une carrière si prometteuse (mais Ô combien ingrate).

Non seulement le site est de retour, dans un tout nouveau emballage, mais en plus il est accompagné d'un livre : «La Société émergente du XXIe siècle» par Michel Cartier et Jon Husband (disponible ici: Québec, France).

ConstellationW est un site «dédié au développement de notre société ; un espace de réflexion citoyenne sur notre avenir collectif». Et il intègre maintenant la composante environnementale, course à la montre mondiale pour trouver une solution au fait que l'on cochonne notre seul aquarium que nous avons, la Terre: le site se consacre à la recherche « d’un autre monde possible ».

Êtes-vous prêt pour le 21e siècle de Michel Cartier sur Vimeo.


Post-scriptum: voici quelques questions que le site pose:

• Les réseaux à la Facebook chevauchent un fort courant de personnalisation qui déifie les droits individuels, y a-t-il des réseaux qui se préoccupent des droits collectifs ?
• Peut-on vraiment « communiquer » avec moins de 140 caractères ? Si, avec les techno à la Twitter, nous gagnons plus de pouvoir, de liberté et de rapidité, que perdons nous en échange ?
• Est-ce qu’Internet va continuer à être contrôlé que par un seul organisme, l’ICANN (qui relève du Département américain du Commerce), ou va-t-il éclater ?

Les maîtres à l'époque des blogues

Quand on tombe sur cette citation de 1879, on regarde à deux fois la date. On peut être surpris de citer Nietzsche pour expliquer l'émergence des nouveaux acteurs de la blogosphère (ou du web 2.0, ou des médias sociaux, selon vos fixations).

Effectivement, l'aridité habituelle des philosophes allemands ne laisse guère de prise à une facile réinterprétation à l'ère des réseaux. Quand on tombe sur ceci, c'est à se demander si tous les demandeurs de connaissance qu'a généré l'humanité n'ont pas attendu toute leur vie ce qui nous est offert à nous aujourd'hui.
Les maîtres à l'époque des livres

L'éducation particulière et l'éducation par petits groupes se généralisant de plus en plus, on peut presque se passer de l'éducateur, tel qu'il existe maintenant. Des amis avides de savoir, qui veulent ensemble s'approprier une connaissance, trouvent, à l'époque des livres, une voie plus simple et plus naturelle que l'«école» et le «maître».

Nietzsche (1879) «Humain, trop humain», supplément «Opinions et sentences mêlées», 2e partie «Le voyageur et son ombre», strophe #180 Traduction AM Destrouneaux et H Albert (Hachette Littératures, 1988, p. 607)
Il y a amplement de savoirs accessibles en ligne, et récemment générés, pour s'éviter de plonger dans les écrits lointains de l'auteur hermétique de Zarathoustra. Car il faut dire que pour les domaines de pointes, particulièrement pour comprendre Internet, il y a, pour ceux qui se donnent la peine, une pléthore de contenu, de référence, d'interprétation, d'hypothèse pour tenter de saisir notre époque. Mais ce que Nietzsche dit ici, me fait penser que ce besoin (cette tendance?) n'est pas nouveau.

Cette «éducation» par petits groupes a gagné toutes les sphères de la société, à divers degré et à un rythme peut-être disparate, pour nous faire dire qu'à notre époque, «on peut presque se passer de l'éducateur, tel qu'il existe maintenant. » On paraphrase à peine. "Des amis avides de savoir, qui veulent ensemble s'approprier une connaissance, trouvent, à l'époque des [blogues], une voie plus simple et plus naturelle que l'«école» et le «maître»".

Pour poursuivre la réflexion, liste non exhaustive:

affordance.info (Olivier Ertzscheid): Le blogue d'un maître de conférences en sciences de l'information
Alain Giffard: culture, technologies, lecture, mémoire, hypertexte.
Aldus - depuis 2006 (Hervé Bienvault): Un blogue pour suivre l'actualité de la lecture numérique. A la découverte des livres numériques, livrels, ebooks et des nouveaux readers, liseurs, liseuses, tablettes, bouquineurs et autres "lecteurs" électroniques conçus pour les lire ! (Avec un clin d'oeil à Alde Manuce, éditeur-imprimeur à Venise il y a 500 ans...)
Bibliomancienne (Marie D. Martel): Ce blogue s’intéresse à la philosophie, à la littérature et aux bibliothèques à l’ère numérique.
Bloc-notes de Jean-Michel Salaün: Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique
La feuille (Hubert Guillaud): L'édition à l'heure de l'innovation
Mario Tout de Go (Mario Asselin) : Le passage d'une "société de la connaissance" à une "société des connaissants" se fera au moment où les écoles cesseront d'ériger des murs et donneront toute la place aux fenêtres.
François Guité: Les compétences du XXIe siècle